jeudi 15 mai 2008

Jamais deux sans Trois

C'est l’histoire d’un groupe dont dix millions d'exemplaires des deux premiers albums sont rangés dans les discothèques idéales officielles des gens bien au milieu des Madonna, Cali, Manu Chao, Goran Bregovic, Abba, Têtes Raides, Buena Vista Social Club, Serge Gainsbourg, Muse et autres Léo Ferré.

C'est l’histoire d’un groupe qu'avec le temps, ostensiblement, on a fini par ranger dans le camp des Björk, Beck et autres Radiohead, autrement dit dans celui des symboles de la défaite de l’ex-rock indépendant devenu le bras droit de l’industrie armée du culturellement correct.

C’est l’histoire d’un groupe qui a marqué son époque - même les rastas écoutaient, c'est pour dire, et moi-même j'aimais bien m'en rouler un petit en écoutant leur premier album - et dont les fans (des gens bien) attendent depuis dix ans une suite à leurs débuts prometteurs, dire d’avoir un autre disque à mettre que Dummy comme fond musical pour les brunchs entre couples de professeurs altermondialistes et leurs amis, les jours de fête laïque.

C’est l’histoire d’un groupe qui, un beau dimanche, avant le grand prix de formule un, réapparaît à la surprise générale dans un tunnel de pub pour égayer le repas dominical de vingt secondes de déflagrations binaires martelées avec indécence, comme une déclaration de guerre au milieu d’un jour férié.

On jette une oreille curieuse sur les autres morceaux du nouvel album. On dirait le premier disque maladroit d’un groupe lo-fi qui s’entraîne depuis des années dans son garage et est enfin parvenu à faire sonner de quelque chose limite écoutable. Quelque part, ça nous enchante, et on se sent atteint d’une indicible angoisse : est-ce vraiment eux ?

Plus de doute quand la voix marie-christique de la Bethgibbonesque transperce le tapis de mélodies bancales à la Pavement/The Fall.

Aux dernières nouvelles, ils s’étaient englués dans les vapeurs inodores d’une soul-jazz électro agaçante à la Saint Germain, matinée de gentils bruitages auto-caricaturaux sur l’ex-second album – éponyme.

Voilà des larsens acérés à la Silence, des soli escarpés et des gimmicks lancinants à la Sonic Youth, et voci une montée de grands orgues à la Soft Machine qui déboule !

Krautrock (Can, Neu ! Tangerine Dream et allons-y, Kraftwerk) : les scientifiques qui ont inventé les machines à musique électroniques laissent des musiciens expérimenter leurs nouveaux sons. Ce sont des mélodies simples et mécaniques mais qui délivrent la pleine substance synthétique des bioniques, cosmiques, psychotropes, spatiaux et industriels claviers tambourinés avec métronomie.

Les morceaux démarrent lentement et parfois le restent ; parfois ils rebondissent sur d’autres courants mélodiques et se trouvent déportés sur une terra musica inconita – s’il en reste en 2008, c’est quelque part par là.

On s’enfonce dans contrées hostiles où l’on étouffe de chaleur et où l’on lutte contre les forces de la nature tropicale et ses alliés les moustiques – et on entend des choses bizarres dans la tête, on ne sait pas bien si on va mourir, ou dormir, ou s’enterrer vivant, ou décoller au-dessus du ciel, on ne sait plus rien de tout ça. On n’en peut plus de ces contrées quand soudain jaillissent les océans de lumière aveugle de la musique qui rend fou.

Acculé dans Ses derniers retranchements, apparut à Lui le Saint-Graal.

Cet album est un futur classique de l’obscur, un membre potentiel de la discothèque idéale des Ténèbres: pas très propre sur lui et un peu abscon d'emblée - voire même repoussant à la première écoute, bon signe.

Cette production intense, cohérente, pertinente, percutante, suicidaire le classe dans cette catégorie supérieure - au milieu des Disintegration, Loveless, Pink Moon, The Drift, Closer, il ne déparaitra pas, parole de Mage.

Et comme disait l’autre, ne boudons pas notre plaisir ceci :

« Si comme moi, vous rêviez de tubes à la Glory Box et Sour Times, préparez vous à déchanter; Third est sacrément plus énervé, plus industriel, plus dark. Finies les promenades bucoliques près des étangs, bonjour les ambiances psyché, les guitares déprimantes et les gimmicks apocalyptiques. »

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ben moi, Professor, je ne saurais où trouver le courage de l'écouter, ce disque... ca me fait froid dans l'dos, toussah...

Je me sens nettement plus confiant à écouter le dernier Cut Copy, de la bonne indie-electro-dance à minettes venue tout droit du pays de Crocodile Dundee!
Pour moi, le malheur, c'est du surf, mais pas sur n'importe quoi : sur des arcs-en-ciel. A Bristol, point de vagues. Le papier carton, non merci! ("Carton rouge", me répondrez-vous; Je ne relèverai pas.)

"La modération des commentaires a été activée. Tous les commentaires doivent être approuvés par l’auteur du blog."
Vous êtes de droite, plus aucun doute ne subsiste à ce sujet.

Sincères salutations.

KLINSMARK a dit…

en matière de papier carton, le Bristol est certes ce qui se fait de mieux, parce que le stylo glisse sur les petits carreaux et que c'est agréable.
Mais comme le dit Jean-Louis, le public - surfeur soit-il - n'est pas suffisamment éduqué pour supporter ce genre de conneries - et encore n'as-tu effleuré que du bout des lèvres la problématique de l'indie-électro-dance.
Il faut donc le surveiller, et le modérer.