mardi 11 août 2009

FORÊT DE JAMBES TORDUES

Dans son inconfortable mais néanmoins rutilant véhicule à essence, le général de brigade s'échine à accélérer le processus de reconstruction de l'assertion non-verbale équivalente en tous points à l'idée qu'il s'en était faite. Depuis longtemps, elle tient lieu de catéchèse universelle aux législateurs muets dont chaque démarquage renverse la vérité précédente. Incommensurablement pusillanime, certes, mais aussi fantastiquement profanateur. Sans doute eût-on bien fait de ne pas prévenir le baron de l'Empire des risques calmement sereins encourus par les individus de son espèce. Encore eût-il fallu que le jeune couple archiducal sache comment arborer fièrement le blason moléculaire qui, en guise d'immatriculation -de laisser-passer pourrait-on dire-, lui permet d'accéder à l'infinie étendue des paradoxes inverses. Cette escalade vrombissante vers les sommets fumants de l'arrière-garde empêche le sérurier royal de surprendre encore ce qui théoriquement n'existe déjà plus. Les signaux carrés d'une boule brûlante en route vers les plus hauts degrés d'intensité de la métamorphose scandaleuse ne font plus effet


En aucun cas, l'ayant-droit ne peut retirer à l'Huguenot de passage l'espace de soumission qui lui gèle les pieds. Qui plus est lorsque l'atmosphère déclinante, dans un dégradé de rouge vers le vert, aveugle la cohorte des spatules inaudibles régies par un ordre indicible. Elles fondent dans l'ouest d'un arc de cercle situé aux confins d'une forêt de jambes tordues dans des angles bizarres. Sûrement la croche va-t-elle tomber sur les cîmes de confettis sur le coup de treize heures trente-sept, en conclut l'Empereur Damase II, euphoriquement calculateur. Une suite de données et de rapports afférents aux sondages effectués l'avant-veille par l'équipe d'intervention géante stoppe net l'avancée frémissante du chronométreur hors-piste de la vallée déglutissante. Encore qu'avec un minimum de sens propre aux tauliers de l'amirauté figurant sur la liste des correspondants scandaleux de l'hiver dernier, Rodolphe de Rheinfelden eût pu tenir quelques trimestres de plus. Ce qui pouvait paraître intéressant d'un certain point de vue, commençait à gentiment se pervertir sous l'effet conjugué d'une moisson bienheureuse et d'un apport hypermétrique journalier suffisamment faible pour endiguer les envahisseurs belliqueux des corps étrangers situés à proximité.

vendredi 24 juillet 2009

L'ATELIER

« Voilà Patrick,
- bonjour Patrick,
- et lui c’est Philippe,
- bonjour Philippe, moi c’est Jérémie,
- bon, qui a une idée ?
- Moi j’en ai une, c’est d’utiliser les mots donnés pour le Printemps des Poètes, ils sont au nombre de dix,
- est-ce qu’on peut conjuguer les verbes ?
- si on rencontre une difficulté à placer un mot, oui,
- mais ça rabaisse le niveau de la contrainte, si on joue le jeu à fond, autant les utiliser tels quels,
- alors, voilà les dix mots : … »

Nous sommes huit dont sept préretraités de la fonction publique. Les labyrinthiques urbanités de la nouvelle ville abritent d'étranges réunions. Tout le monde a sorti son stylo et son cahier grand format grands carreaux, tout le monde est con-cen-tré, lunettes de lecture ajustées sur le nez, alors, voilà les dix mots….

Patrick écrit les dix mots sur son cahier grand format grands carreaux et sort fumer une clope, tu comprends, l’inspiration c’est une équation à deux inconnues : cigarette et café. Patrick sous-traite pour la société de transports en commun de l’agglomération et fait des mots-croisés. Sa voisine a les cheveux blonds et une fille. Son voisin boite mais a fait une apparition sensationnellement libidineuse lors de la Fête du Livre pour parler à deux jeunes filles dans un bistrot de ses projets littéraires.

Philippe articule bien et écrit des choses illisibles sur son grand cahier sans carreaux pendant que Sophie, l’animatrice, fait le point sur l'agenda des séminaires de l’association. Attention, n’oubliez pas que le week-end « écriture gastronomique » est reporté d’une semaine au 14 juin.

La voisine de l’animatrice demande si toutes les cotisations ont été réglées, l’animatrice répond non, il m’en manque deux. La voisine dit, ah moi j’ai pas payé pour le stage écriture policière, mais j’avais fait un chèque pour celui d’avant auquel j’avais finalement pas participé. Dans ce cas, ça compense, intervient Patrick, mais faudrait pas exagérer. On n'est pas dans la consommation de loisirs ! dit-il ivre de rage. La voisine de l’animatrice part s’isoler pour composer son texte.

Une heure plus tard, l’animatrice et Patrick discutent de la pertinence de l’efficacité des bonshommes en orange employés dans le métropolitain, l’animatrice dit que parfois ils demandent le titre de transport, Patrick dit c’est pas normal, ils ont une fonction de conseil uniquement, alors ils abusent dit l’animatrice, bon on passerait pas à la lecture des textes ? interrompt le boiteux agacé.

Patrick commence par une histoire de cueillettes estivale avec dans la première phrase « lutte des classes » et « abricot-lontah ». C’est l’histoire d’un étudiant qui part à la cueillette et qui en chie, tout ça par amour d’une camarade. La blonde, c’est cul-cul, ça parle d’amour avec des jolis mots du dictionnaire et des métaphores officiellement trop nazes. La voisine de l’animatrice, c’est nul, Philippe non plus, l'animatrice lira pas son texte, elle a honte, elle trouve ceux de Philippe et Patrick trop biens.

Finalement plus le texte est court, plus la contrainte est forte, c'est ainsi que j'introduis mon texte, qui contrairement à ce que je viens de dire est moyen long :

« Lors de sa dernière tentative, Otto a effectué un bond à quinze mètres soixante-deux. La marque laissée par le triple sauteur sur la sable tiède a la forme d’un abricot. Son entraîneur l’encourage à recommencer. Otto hésite à tout envoyer valser. ‘’Tu dois travailler tes points faibles, sinon tu vas passer pour un clown’’, harangue le coach gagné par la nervosité. L’imminence des compétitions interrégionales qualificatives suscitent en lui le sentiment bizarre que ses athlètes ne sont pas au maximum de leur potentialité.
L’entraîneur lève les yeux vers la tribune d’Honneur, un bijou d’architecture balayé par un vent glacial. Il trace dans la cendrée de nouveaux repères pour la course d’appel de saut en longueur. Il utilise son passe-partout permettant d’ouvrir la porte du vestiaire ainsi que les grilles du stade.
Mais la perspective lointaine des Jeux Olympiques en Chine ne semble décidément pas aiguiser l’envie de concourir de ses poulains. ‘’Je franchirai le fleuve Amour à la nage pour participer s’il le faut’’, rétorque l’athlète. Mais Otto ment comme un bachi-bouzouk en survêtement chic. »

Avec un plus haut niveau de contrainte, comme annoncé précédemment :

« Réveillé en sursaut par la polyphonie bizarre d’un orchestre à cordes miniature, l’astronaute reconverti en ramoneur chic se prépare pour son rendez-vous avec l’amour. Deux litres de jus d’abricot plus tard, son bachi-bouzouk de voisin gare sa Datsun bleue sur le parking collectif. Il y a en ville des hôtels de passe partout, où rôdent alentour des femmes sans bijoux qui aiment qu’on les envoie valser. On y trouve aussi plus de clowns au mètre carré que dans les night-clubs de la Costa Brava. »

Tout le monde a ri de la subtile combinaison « hôtels de passe partout », Philippe m’a reproché de ne pas utiliser la contrainte convenablement, et à la fin, j’ai été poltron en réglant ma cotisation annuelle à l’association, bien que pas très sûr de devoir un jour participer à un autre atelier. Les ateliers d’écriture, c’est nul.

dimanche 7 juin 2009

HANTE ICI ARIEL PINK

Au fin fond du jeudi de l’Ascension, le Great Pretender de Beverly Hills aux cheveux sales a foulé sol bruxellois de ses souliers italiens à motif Lépoard. Entouré de ses dévoués apôtres, le messie de la pop music post-moderne a traversé le « 17 Zennestraat » afin de déposer un carton de disques et de t-shirts sur le stand prévu à cet effet, sunglasses au nez. Que ce fût par timidité ou afin de cacher les stigmates de fatigue inhérents aux voyages en mini-van, peu nous en importa puisqu’il était bel et bien là, le bougre – annoncé depuis longtemps, le concert aurait pu ne pas avoir lieu, faute de point de chute (ce qui eût été pour le moins très grave ; et ce n’est pas parce que vous êtes là que je vais me taire !).

Constatation d'usage: la silhouette de haricot sec rachitique du dénommé Ariel Pink brise en deux le mythe du Californien sportif et bien dans sa peau. En revanche, son air absent d’autiste taciturne, vaguement préoccupé par on-ne-sait-quoi, confirment qu’il est habité par quelque chose d'indicible – ou qu’il a inhalé de la fumée bizarre. Sur scène, nous constaterons plus tard que l'aura et le magnétisme que dégage ce Bernard Minet bossu sous acide d'un mètre soixante-deux relève d'un mysticisme exclusif aux rares génies.

Cela fait quatre ans désormais que le loisir nous est donné d'écouter ses disques, et, force est de constater que ce type EST le Passé, le Présent et le Futur de la musique pop, l'alpha et l'oméga du rockabilly dérangé, le yin et le yang de la variété éthérée, le prophète du heavy metal en barre chocolatée, le parangon de la new wave déraillée, l'ultime rejeton du folk vaporeux.

Il est la plus improbable rock star lunaire depuis Syd Barrett, qui, vêtue d'un t-shirt « Joe Is Cool », annone le premier couplet a capella de Flashback, son dernier 45 Tours en date, une merveille de chanson hard rock FM dans la lignée des plus grandiloquents tubes de Mötley Crüe, Bon Jovi, Alice Cooper et Iron Maiden.

La tournée européenne du Haunted Graffiti vient à peine de commencer. La veille, il était en Grande-Bretagne, le lendemain, il sera en Grèce. Mais le quintette est rôdé par une traversée des Etats-Unis de long en large en compagnie des sympathiques Vivian Girls. Enfin entouré d'un véritable orchestre, le fils indigne de la famille Rosenberg n'a plus à se préoccuper que d'une seule chose: le chant. On se souvient l'avoir vu il y a trois ans dans un club techno d'Anvers, uniquement assisté d'un bassiste, d'une claviériste et d'un lecteur K7 pour le playback « all other instruments ». Le revoir accompagné de quatre musiciens pour ainsi dire « habités » par leur mission a quelque chose de rassurant.

Excellente (demi-)surprise, le Graffiti enchaine avec Trepanated Earth, le morceau épique d'une dizaine de minutes qui ouvre Worm Copy, le plus « Captain Beefheart et Zappa-esque » de ses albums « faits à la maison » (tous ses disques jusqu'à l'année dernière ne sont que des numérisations de démos enregistrées sur 8 pistes dans sa chambre entre 1995 et 2002): un slalom frénétique sur la bande FM, entre synthés cosmiques et ponts boogie, ponctué de discours misanthropes (« la race humaine est une merde de chien »).

Il n'était pas évident d'adapter tout ou partie de la discographie fleuve du crooner freak de Los Angeles. Dans une configuration guitare-basse-batterie-synthés, ce sont les morceaux les plus « n'roll » qui tirent leur épingle du jeu. The People I'm Not, Higher and Higher, Doggone (Shegone) et même Hardcore Pops Are Fun sont de cette veine. Un certain type de « rock à socquettes » typique de l’Amérique des fifties - d'Eddie Cochran à Buddy Holly - y télescope la pop naïve des Monkees et le folk psychédélique Byrds-like des sixties. Le tout passé à la moulinette des changements de cadence soudains, des breaks imprévisibles et des lignes mélodiques hantées qui extirpent de ces références traditionnelles une moëlle exquise, inouïe et légère.

Can't Hear My Eyes, pénultième single en date (exclusivement disponible en format vinyle 7''), donne lieu à une interprétation poignante. Ce morceau indique une des voies dans lesquelles Ariel Pink s'avance désormais qu’il enregistre avec un véritable groupe. Le maelström auditif et fourre-tout laisse place à un son scintillant qui fait le lit d'un soft-rock de compétition, typique des ballades seventies FM.

La sono a mis un bon vingt minutes avant de trouver ses marques. Jusqu'à ce que Pink décide, en définitive, de passer DEVANT son enceinte de retour, ce qui coupe définitivement court aux larsens intempestifs. Tout est en place pour le climax du show que constituent les deux « classiques » issus du premier album, The Doldrums, déflagration indélébile qu’on qualifierait aisément d’ « OVNI musical » à ne jamais s’en remettre, si cette expression n’était pas tant galvaudée.

Ce disque renferme les plus fabuleuses pépites de new wave lacrymale à synthés jamais enregistrées depuis, disons, Eyes Without a Face de Billy Idol, ou, mettons, les deux premiers albums de Tears for Fears. Les deux titres extraits qui seront joués ce soir-là poussent l'idée de la pop mélancolique bricolée dans ses derniers retranchements. Les sombres et froides mélodies de For Kate I Wait, plus grand succès (tout est relatif) du Graffiti, déclenche une agitation certaine dans le public (une petite quatre-vingtaine de disciples) jusque-là plus respectueux que véritablement concerné. Pink lâche la bride et donne libre cours à une théâtralité maladroite et exubérante sur Among Dreams, ritournelle noisy branlante vaguement cousine de Pavement, sur laquelle sa voix de falsetto fantomatique et enfantine cultive l'héritage d'un Brian Wilson lo-fi.



La première partie s'achève en pente douce avec Phantasthma, ballade issue du répertoire récent que ne renieraient pas un Bryan Ferry ou un Marc Bolan. Fieu, bonjour l’overdose de références. Mais ce serait ne pas pousser l’analyse jusqu’au bout que faire mine d’ignorer que si la musique d'Ariel Pink's Haunted Graffiti attire ces dithyrambes, c’est parce qu’elle est unique, inédite, en plus d’être transversale. Tel un vieux tourne-disques à lecture bancale qui rend des décennies de sons régurgités sur un poste transistor réglé sur fréquence ondes moyennes, cette musique atteint son équilibre en flirtant sans cesse avec le ridicule magique, tout en évitant, par on ne sait quel miracle, de tomber dans la caricature pathétique de connivence cool et tendance (mein Gott ! qu’est-ce que cette dénomination abominable de « hipster garbage » fréquemment employée aux USA pour qualifier la musique du Pink hérisse les poils !) .

Le déglingo en jean imprimé batik réplique aux WOHOHOHOHO de la salle qui encourage un rappel en fredonnant le tube disco de supérette Tarzan Boy avant d’entonner le refrain de Live Is Life, du groupe autrichien Opus – deux one-shoots qui totalisent douze semaines consécutives de numéro un au TOP50 français durant l’été 1985. Ça se termine avec Are You Gonna Look After My Boys?, comptine « baroque-funk » sonnant comme un 33T de Prince joué à la vitesse « fois deux », et Rama Ya, dans l’ombre des frères Ramone, hop, comme ça, à l’arrache, merci d’être velu.

SETLIST: Flashback - Trepanated Earth - Trespian City - Higher & Higher - Beefbud - Can't Hear My Eyes - Baby Comes Around - Shegone Doggone - Fot Kate I Wait - People I'm Not - Among Dreams - Hardcore Pops Are Fun - Phantasthma - B.L.B.S :-: encore 1: Jack Off - Are You Gonna Look After My Boys? - encore 2: Rama Ya.

samedi 18 avril 2009

HALALI POUR UN BERRICHON, TOME II

« Ibou, Ibou, t’es où merde ? Déconne pas ! Je suis grave HS ». C’était Thierry. Il en pouvait plus le pauvre, tout essoufflé qu'il fut par la farandole qui a fait fureur dans le quartier ameuté. Dans la ronde cosmopolite remédiant au désordre ambiant de la station thermale, où la légende voulait que Bobin et d’Estaing eurent eux aussi à faire avec ce que notre ancien président avait institué en 74 : une police de caractère. Dans une parodie de retour aux valeurs giscardiennes, Thierry eut la nostalgie des J.O. de 1980 à Moscou. Enfin, la nostalgie, c’ est beaucoup dire. « Ouais, on n'avait pas boycotté », se rappelait-il. Alors pourquoi tous ces souvenirs venaient-ils se mélanger, dans le tourment dévastateur par les quelques vingt-trois bières ingurgitées ? Les souvenirs de Monsieur Perche 1981 étaient si peu tolérables qu’il demanda du secours à Ibou Ba.

Comme à Braga en 97 contre le Portugal, Ba se faufila à travers une forêt de jambes. Et catapulta un shoot qui, on le sait aujourd’hui, sera fatal. L’épique, le lendemain, annonça la retraite officielle de, je cite, « Monsieur Thierry Vigneron, perchiste en perte de vitesse depuis si longtemps ». « T’es chouette, Ibou », titrèrent-ils même en pages intérieures. Ignorants eux-mêmes, que Ba avait confondu vitesse et précipitation et qu’il avait envoyé la Clio jet set de Jay-Jay à la gueule de Yannick Stopyra, patron du Palace depuis son licenciement du FC Mulhouse.

Jean-Marc Sylvestre interrompit Thierry Vigneron dans le déroulé de son aventure moscovite pour l’interroger sur la pertinence du boycott occidental des jeux soviétiques. Il faillit s’aventurer sur le thème de la nostalgie à propos des nageuses est-allemandes, mais Jean-Marc s’avoua finalement qu’on en avait assez fait sur ce plan là ce soir, tandis que, se redressant d’un coup sur sa chaise, Bobby s’auto-congratulait bruyamment pour le joint d’herbe qu’il venait d’achever consciencieusement. « Je suis non seulement le cousin, mais aussi l’agent de Franck et Mickaël », déclara Jean-Marc. Se retournant vers Thierry, il le questionna sur ce qu’il demandait quand il allait chez le coiffeur pour avoir cette flamboyante coupe de cheveux à la Duguesclin. Jean-Marc voulait la même.

Anny et Ibou, Françoise et Philippe, Bobby et Jean-Marc, Thierry et Yannick, Jay Jay et Daniel trinquaient les chopes que leur avaient apportées Zazie. Dans un silence de cathédrale, Bobby prit la parole et se mit à évoquer des histoires invraisemblables afférentes à la fin du Tout. Selon lui, les sages ont écrit en des temps anciens des textes jamais parvenus à nous, Modernes, et qui mettent en lumière certaines caractéristiques de notre époque en tant qu'issue fatale à l'Univers. Le cosmos devra se refermer sur lui-même, expliquait Bobby dans son complet-veston à la chemise ouverte jusqu’au troisième bouton, dans une spontanéité analogue à celle qui présida jadis à son apparition subite. Cette sanction finale – l’Apocalypse - interviendra lorsque l’Infini Mystère de l’Humanité sera enfin percé. Ou, quand les hommes seront parvenus à bout des dernières questions restées sans réponse (exemples : comment Éric des Musclés cuisine-t-il la merguez ? Où est passé le costume de chevalier blanc de Bernard Menez dans Le Chaud Lapin ? Jean-Claude Dus de Paris est-il bon bricoleur ?). Il sera alors décrété l'Hallali - enfin ! s’exclameront certains. Bobby dit qu’alors, la terre s’éventrera, déchirée tout du long, du pôle nord au pôle sud. La lave qui se dégagera de cette métamorphose anéantira les bâtiments, les villes, les musées, les livres, les parcs d’attraction, les usines et les hommes qui en vivent.

Mais Ibrahim ne croyait pas une seule seconde à ces sornettes. à son tour il se leva. Il se souvenait de ce que lui avait dit le grand prophète havrais Alain Cavéglia un soir de victoire assez nette sur l’OM de Marcel Dib et Hamada Jambay à Deschaseaux : « Un grand chanteur va arriver sur terre vers l'an 2003, il portera des vestes en tweed gris, des mocassins marrons et une barbe travaillée avec fausse négligence. il chantera au monde incrédule la beauté de ses tourments de garçon en proie à des soubresauts existentialistes dans ses rapports à la « belle famille ». Et ce sera l’œuvre d’art ultime, l’avènement de la puissance des mots, des images et de la chanson, et la planète sera rouge de honte d’avoir ignoré durant tant de siècles mielleux le pouvoir de ces complaintes intimistes. rouge à s’en brûler les ailes. Ce sera la fin du monde dans un énorme incendie ». Les autres étaient ébahis, certains baillaient. Ibrahim venait d’annoncer l’Antéchrist Vincent Delerm, il en était persuadé sans nuance.

A 700 kilomètres de là, Jeff Larios était sur le point de se réveiller. Une bonne nuit de sommeil après un jeudi particulièrement harassant. Non seulement il avait vaqué à ses obligations routinières d’aiguilleur du ciel, mais il dut surveiller la portée d’Elvis Renée, la hamster de son ancien coéquipier stéphanois Cricri Lopez. Avec sa moustache d’hidalgo et sa grosse chaine au cou brillant dans le soleil matinal, Larios était assis à même le vieux parquet de sa turne dans les favellas de Kinshasa où il est associé en affaire avec Jean-Marc Miton depuis seize ans maintenant. L’appel de l'Afrique a cueilli ces trois-là à leur retraite sportive, suite à une tournée commune en Guinée avec une équipe de vétérans. Les hamsters de lopez avaient truffé le sol de crottes minuscules. Larios était tellement fatigué qu’il faillit ne jamais se réveiller. Heureusement, la Providence. Somptueuse, Divine, arrogante Providence. L’arrogance, celle qu’on lui avait apprise lors d’un passage éclair au club de l'OM.

A ce moment homérique, dans l’avion qui menait les copains du comité des repentéléphiles vers Kinshassa, Ibrahim eut la conviction qu’appeler son Tonton Larios serait une excellente idée à ce moment précis du synopsis. Il y a à peine deux paragraphes, ils étaient dans un pub d’Auvergne, et les voilà dans un long courrier. Aux côtés de Roger Giquel, bourré de Lexamol (la trouille des coucous), Françoise Breut était captivée par Le 13e Guerrier de Mac Tiernan, tandis que Thierry dormait comme un sportif. « Peux-tu, concrètement me passer le sel ? » demanda Bobby à Anny, avec qui s’était engagée une conversation très théorique au décollage. « Oh, les gars, vous imaginez vous la gueule que ferait le vieux Larios si on débarquait tous dans sa bicoque, hein, comment y serait vénér’ ! » Ibou est free dans sa tête, pensait Jay Jay qui veillait sur Daniel. « Bravo, tu as dessiné un « V » avec ta bave sur le hublot ! » songea tout haut Catherine Benguigui totalement fascinée.


jeudi 19 mars 2009

DANS L'OMBRE DE LA ROUE DE LA FORTUNE

Bach à l'orgue, Chopin au piano, un Carribéen moustachu aux percus, un bassiste qui joue à l'économie mais dont chaque note résonne comme la cloche d'une église, un batteur discret mais puissant et technique. Voilà le type d'orchestre dont s'est entouré le génial Mark Knopfler au moment d'enregistrer Love Over Gold, en 1982. Alors que le monde de la musique subit encore les affres de la double déflagration Punk-Disco, le guitariste britannique ne cède pas aux tendances du moment et enferme ses musiciens dans une grotte humide (pour la résonance et l'ambiance sombre) équipée du matériel technologique le plus pointu du moment.
Propre et net, tel sera le son de cet album, comme l'ont été les précédents et le seront les suivants du groupe Dire Straits. Il ne faut cependant point chercher de trace du Sultan du Swing à travers les cinq pistes de cet album de quarante-et-une minutes et dix-huit secondes. Mark a échangé le bandeau qu'il met dans les cheveux contre un tube d'anxiolytiques et de tranquillisants. On l'imagine très bien dérouler ses soli harmonieux en robe longue à capuche tel un ascète en désespérance morbide durant l'enregistrement de ce chef-d'œuvre qui dans l'encyclopédie imaginaire de l'ineffable de Jankélévitch suffirait à illsutrer l'entrée « Mélancolie ». Venait-il de se faire larguer par sa nana ? Était-il au bord de la banqueroute ? Avait-il pris conscience de la fatuité du statut de Guitar Hero ? Ce n'est qu'une intuition, mais il semble que Knopfler va mal au moment de l'enregistrement de cet album qui suinte la déprime par tous les pores.
Love Over Gold s'ouvre sur Telegraph Road, une ballade épique de quatorze minutes aux longues plages instrumentales ponctuées de crescendos de guitare dévastateurs et de montées d'orgue poignantes. C'est en roulant le long d'une ligne télégraphique près de Detroit, dans le Michigan, alors qu'il lisait un bouquin de Knut Hamsun que Knopfler aurait eu l'idée de ce morceau, véritable allégorie du chemin en ligne droite sans but qui ne finit pas. Le titre suivant, Private Investigations, aurait été inspiré par la lecture d'une nouvelle de Raymond Chandler. Tout aussi profond émotionellement parlant que le précédent, mais un poil plus accessible, ce morceau a été extrait de l'album comme single. C'est ici que déboule le percussionniste carribéen avec ses Marimba. Soutenu par une sorte de Mexicain au jeu de guitare acoustique délié et triste à mourir, il donne une envergure inattendue au titre qui se ponctue, comme un éclair qui déchire le ciel sombre, par une explosion électrique propre à faire hérisser les poils de bras. D'ailleurs, à l'époque, une compagnie d'assurance avait utilisé ce thème pour une réclame télévisuelle aussi poignante qu'un épisode de Rémi sans Famille, pour les gosses de 7 ou 8 ans qui se prenaient ça en pleine figure – et je parle en connaissance de cause.
C'est sur un ton un peu plus léger que se déroule la seconde partie de l'album. Industrial Disease évoque les dégâts collatéraux de la crise économique en Angleterre au début des années 80 à travers le récit du narrateur – un ouvrier – qui rend visite au médecin de l'usine pour soigner les maladies engendrées par son job. Le titre éponyme est le plus classique des cinq. Dire Straits délaisse le temps de six minutes et seize secondes les structures progressives et hantées qui habitent les morceaux du début pour s'adonner à une reposante récréation dans son exercice de style favori: le blues-rock typique de l'Angleterre des années 70.
Lorsque l'intro du dernier morceau, It Never Rains, démarre, l'auditeur se dit que, ouf, l'orage est définitivement passé, et que ce thème plutôt joyeux à l'orgue annonce une fin d'album radieuse. Le beau temps après le déluge en quelque sorte. Que nenni. Deux minutes et dix-sept secondes plus tard, gros break, changement de ton, le groupe bascule à nouveau vers ses penchants sombres. Et Knopfler d'ânonner...
« I dont know why I was even passing through
I saw you making a date with destiny
When he came around here asking after you
In the shadow of the wheel of fortune »
…sur une base rythmique boogie aux bons vieux relents de Status Quo. Tout est en place pour déboucher sur un climax final qui boucle la boucle entamée par le terriblement déprimant morceau d'ouverture. À quatre minutes et quarante-quatre secondes, Mark ressort son vieux joujou de son étui et dégaine son médiator (en fait, il n'en a pas, il joue avec le pouce, l'index et le majeur, what a killer) pour un solo de fin à n'en plus finir. A l'instar d'un Neil Young période Zuma, Knopfler possède ce don surnaturel consistant à faire pleurer sa guitare. Sous un déluge d'orgues, la section rythmique poursuit son travail de sape mis en valeur par une série d'effets post-production (reverb, echo, delay, que sais-je...) à donner le tournis.
Ainsi s'achève l'album-clé d'un groupe décrié, raillé, souvent rangé aux côtés de formations daubesques style U2 ou Coldplay par les pourfendeurs zélés de la police du bon goût. Quand j'étais petit et qu'on partait en vacances, mon père mettait souvent la cassette de cet album dans la voiture. Ce fut une bande-son parfaite pour les voyages nocturnes peuplés de rêves bizarres le long de l'A6 et de l'A22.

samedi 7 mars 2009

HALALI POUR UN BERRICHON, TOME I

C’est alors que sont réunis pour un « Cinq à Sept » mondain dans la salle généralement dévolue aux réunions du Club Loisirs : Ruth Elkrieff, Noël Noël, Pat Bénabar, Roger Giquel, Michel Jonasz, Catherine Benguigui, Gérard Rué, Ibrahim Ba, Daniel Johnston, Jay Jay Johansson, Anny Duperey, Thierry Vigneron et d’autres sympathisants non répertoriés du Comité d’insalubrité Hygiénique des Téléphiles Repentis – dont, me semble-t-il, Françoise Breuzt.

« Le débat sur les nouveaux réacs ne m’intéresse pas », dit Ibrahim Ba, l'ange déchu du football mondial en sirotant sa bière Porter 41.
« J'ai mis ma vie au service de l’écriture », sort Anny Duperey, déjà passée par là, elle sait de quoi elle parle. « Je pense que mon lecteur de disquette est foutu », lance Ruth, dépitée. Le houblon anéantissait les rêves de Thierry Vigneron. Le perchiste de Cassis écumait les pubs de la région Paca depuis deux ans. « Et dire que j'ai sauté 5.70 à Moscou », se disait-il apeuré par les lumières du décor flashy du Green Palace Bistro du Puy-en-Velay. Ça et là, dans le brouhaha, se débitaient les desiderata d’Ibrahim Ba, ex-international tombé amoureux de la Lombardie. « Je veux jouer en équipe A, titulaire sur le côté droit, à côté de Rui Costa. » Daniel Johnston, au diapason, psalmodiait dans un français expérimental des élucubrations mitigées sur les différentes sortes de fenêtres existantes dans le comté.

Philippe aimait se mêler à la jet-set du Puy. Depuis sa mutation au service Export d’une firme italienne basée en banlieue, il se rend chaque soir au Palace, pour décompresser. Curieux de nature, il se passionnait depuis très récemment pour la télé. Trouvez-vous choquant, par les temps qui courent, qu’un cadre commercial découvre sur le tard le petit écran ? Si vous connaissiez Philippe, vous saisiriez aisément qu’un microcosme devenu le miroir cynique de la société acide n’était pas fait pour déplaire, a priori, à Philippe. La télé renouvelait sa vie. Téléphile néophyte parmi les repentis au milieu de toutes ces stars privées de télé, il voyait se dessiner dans son esprit les contours de son nouveau grand projet : monter une comédie musicale dans l’air du temps. Il imaginait des stars méconnues ou oubliées chantant les chansons de Françoise Breutz tout en éructant.

Accoudé à l’autre bout du comptoir, Ibou Ba continuait de se lamenter. Il se perdait dans les yeux bleus glacés d’Anny Duperey qui tentait de le consoler. Daniel Jonhston avait été malencontreusement entraîné par Jay Jay Johanson et Bobby Ewing qui lui firent gouter de la super herbe dans l’arrière cuisine. Ils sortirent tester la qualité de l’air, puisque concernant l’eau minérale des volcans d’ici, leur opinion était faite. Dans son veston foncé en velours, ses grosses bottines bleues, il était libre Daniel.

Derrière la Clio de Jay Jay garée de traviole, pointaient le bout des nez de Françoise et Charlotte, réunies pour une nuit dans les rues du Puy. Daniel faisait des petits sauts de cabri sur le trottoir et les gens le regardaient comme si c’était un demeuré pendant que Jay prit la tête du wagon. A ses hanches se tenaient, dans l’ordre, Françoise, déchaînée, Thierry Vigneron, sorti de sa léthargie, Jean-Marc Silvestre, Bobby Ewing, et Charlotte, qui fermait la marche, défoncée à l’absinthe 70 degrés. La farandole des joyeux fêtards s'étendait tout au long des entrées de boites de nuits du boulevard, Daniel courait comme un dératé à côté de la ribambelle de pochetrons, pendant que Philippe revenait sur le peloton par derrière pour saluer Charlotte. Il n’avait pas couru aussi vite depuis le cross du collège derrière l’irrattrapable kenyan.

A l’intérieur, personne ne voulut faire de farandole, alors, Ibrahim Ba se rapprocha du disc-jokey pour lui demander, si, dans le souci de lui remonter le moral, il pourrait pas passer « Liberté » de Gilbert Montagné, du Boney M, ou, à la limite, « la Danse des Canards », que lui fit découvrir Christophe Dugarry à l’époque des Girondins. Anny Duperey tenta de s’imposer fermement. Passe plutôt un tube gitan des Gipsy Kings, ordonnait la femme fatale au passeur de disques dépassé. Elle agissait auprès d’Ibrahim telle une épouse consciencieuse, limite femme-mère. « Si elle devient trop envahissante, je vais succomber au syndrome de la femme castratrice et je dois sortir de cette spirale négative, je dois reprendre le dessus », se dit intérieurement Ibou.

dimanche 1 mars 2009

MENU TUMULTE

« Je voudrais avoir, comme les animaux, l’instinct de nos besoins, tout deviendrait évident et facile, au lieu de balancer entre l’impatience des désirs superficiels et la recherche confuse des besoins profonds. »

« On naît en état de mort et l’on se réfugie dans la grandiloquence, qui est l’ivrognerie de l’âme, et l’on s’efforce de provoquer avec ses idées un fracas que l’on voudrait majestueux et l’on se satisfait de ce menu tumulte, jusqu’à ce que l’on parvienne au bord du vrai silence ».

Paul Guimard, in Les Choses de la Vie.