jeudi 19 mars 2009

DANS L'OMBRE DE LA ROUE DE LA FORTUNE

Bach à l'orgue, Chopin au piano, un Carribéen moustachu aux percus, un bassiste qui joue à l'économie mais dont chaque note résonne comme la cloche d'une église, un batteur discret mais puissant et technique. Voilà le type d'orchestre dont s'est entouré le génial Mark Knopfler au moment d'enregistrer Love Over Gold, en 1982. Alors que le monde de la musique subit encore les affres de la double déflagration Punk-Disco, le guitariste britannique ne cède pas aux tendances du moment et enferme ses musiciens dans une grotte humide (pour la résonance et l'ambiance sombre) équipée du matériel technologique le plus pointu du moment.
Propre et net, tel sera le son de cet album, comme l'ont été les précédents et le seront les suivants du groupe Dire Straits. Il ne faut cependant point chercher de trace du Sultan du Swing à travers les cinq pistes de cet album de quarante-et-une minutes et dix-huit secondes. Mark a échangé le bandeau qu'il met dans les cheveux contre un tube d'anxiolytiques et de tranquillisants. On l'imagine très bien dérouler ses soli harmonieux en robe longue à capuche tel un ascète en désespérance morbide durant l'enregistrement de ce chef-d'œuvre qui dans l'encyclopédie imaginaire de l'ineffable de Jankélévitch suffirait à illsutrer l'entrée « Mélancolie ». Venait-il de se faire larguer par sa nana ? Était-il au bord de la banqueroute ? Avait-il pris conscience de la fatuité du statut de Guitar Hero ? Ce n'est qu'une intuition, mais il semble que Knopfler va mal au moment de l'enregistrement de cet album qui suinte la déprime par tous les pores.
Love Over Gold s'ouvre sur Telegraph Road, une ballade épique de quatorze minutes aux longues plages instrumentales ponctuées de crescendos de guitare dévastateurs et de montées d'orgue poignantes. C'est en roulant le long d'une ligne télégraphique près de Detroit, dans le Michigan, alors qu'il lisait un bouquin de Knut Hamsun que Knopfler aurait eu l'idée de ce morceau, véritable allégorie du chemin en ligne droite sans but qui ne finit pas. Le titre suivant, Private Investigations, aurait été inspiré par la lecture d'une nouvelle de Raymond Chandler. Tout aussi profond émotionellement parlant que le précédent, mais un poil plus accessible, ce morceau a été extrait de l'album comme single. C'est ici que déboule le percussionniste carribéen avec ses Marimba. Soutenu par une sorte de Mexicain au jeu de guitare acoustique délié et triste à mourir, il donne une envergure inattendue au titre qui se ponctue, comme un éclair qui déchire le ciel sombre, par une explosion électrique propre à faire hérisser les poils de bras. D'ailleurs, à l'époque, une compagnie d'assurance avait utilisé ce thème pour une réclame télévisuelle aussi poignante qu'un épisode de Rémi sans Famille, pour les gosses de 7 ou 8 ans qui se prenaient ça en pleine figure – et je parle en connaissance de cause.
C'est sur un ton un peu plus léger que se déroule la seconde partie de l'album. Industrial Disease évoque les dégâts collatéraux de la crise économique en Angleterre au début des années 80 à travers le récit du narrateur – un ouvrier – qui rend visite au médecin de l'usine pour soigner les maladies engendrées par son job. Le titre éponyme est le plus classique des cinq. Dire Straits délaisse le temps de six minutes et seize secondes les structures progressives et hantées qui habitent les morceaux du début pour s'adonner à une reposante récréation dans son exercice de style favori: le blues-rock typique de l'Angleterre des années 70.
Lorsque l'intro du dernier morceau, It Never Rains, démarre, l'auditeur se dit que, ouf, l'orage est définitivement passé, et que ce thème plutôt joyeux à l'orgue annonce une fin d'album radieuse. Le beau temps après le déluge en quelque sorte. Que nenni. Deux minutes et dix-sept secondes plus tard, gros break, changement de ton, le groupe bascule à nouveau vers ses penchants sombres. Et Knopfler d'ânonner...
« I dont know why I was even passing through
I saw you making a date with destiny
When he came around here asking after you
In the shadow of the wheel of fortune »
…sur une base rythmique boogie aux bons vieux relents de Status Quo. Tout est en place pour déboucher sur un climax final qui boucle la boucle entamée par le terriblement déprimant morceau d'ouverture. À quatre minutes et quarante-quatre secondes, Mark ressort son vieux joujou de son étui et dégaine son médiator (en fait, il n'en a pas, il joue avec le pouce, l'index et le majeur, what a killer) pour un solo de fin à n'en plus finir. A l'instar d'un Neil Young période Zuma, Knopfler possède ce don surnaturel consistant à faire pleurer sa guitare. Sous un déluge d'orgues, la section rythmique poursuit son travail de sape mis en valeur par une série d'effets post-production (reverb, echo, delay, que sais-je...) à donner le tournis.
Ainsi s'achève l'album-clé d'un groupe décrié, raillé, souvent rangé aux côtés de formations daubesques style U2 ou Coldplay par les pourfendeurs zélés de la police du bon goût. Quand j'étais petit et qu'on partait en vacances, mon père mettait souvent la cassette de cet album dans la voiture. Ce fut une bande-son parfaite pour les voyages nocturnes peuplés de rêves bizarres le long de l'A6 et de l'A22.

samedi 7 mars 2009

HALALI POUR UN BERRICHON, TOME I

C’est alors que sont réunis pour un « Cinq à Sept » mondain dans la salle généralement dévolue aux réunions du Club Loisirs : Ruth Elkrieff, Noël Noël, Pat Bénabar, Roger Giquel, Michel Jonasz, Catherine Benguigui, Gérard Rué, Ibrahim Ba, Daniel Johnston, Jay Jay Johansson, Anny Duperey, Thierry Vigneron et d’autres sympathisants non répertoriés du Comité d’insalubrité Hygiénique des Téléphiles Repentis – dont, me semble-t-il, Françoise Breuzt.

« Le débat sur les nouveaux réacs ne m’intéresse pas », dit Ibrahim Ba, l'ange déchu du football mondial en sirotant sa bière Porter 41.
« J'ai mis ma vie au service de l’écriture », sort Anny Duperey, déjà passée par là, elle sait de quoi elle parle. « Je pense que mon lecteur de disquette est foutu », lance Ruth, dépitée. Le houblon anéantissait les rêves de Thierry Vigneron. Le perchiste de Cassis écumait les pubs de la région Paca depuis deux ans. « Et dire que j'ai sauté 5.70 à Moscou », se disait-il apeuré par les lumières du décor flashy du Green Palace Bistro du Puy-en-Velay. Ça et là, dans le brouhaha, se débitaient les desiderata d’Ibrahim Ba, ex-international tombé amoureux de la Lombardie. « Je veux jouer en équipe A, titulaire sur le côté droit, à côté de Rui Costa. » Daniel Johnston, au diapason, psalmodiait dans un français expérimental des élucubrations mitigées sur les différentes sortes de fenêtres existantes dans le comté.

Philippe aimait se mêler à la jet-set du Puy. Depuis sa mutation au service Export d’une firme italienne basée en banlieue, il se rend chaque soir au Palace, pour décompresser. Curieux de nature, il se passionnait depuis très récemment pour la télé. Trouvez-vous choquant, par les temps qui courent, qu’un cadre commercial découvre sur le tard le petit écran ? Si vous connaissiez Philippe, vous saisiriez aisément qu’un microcosme devenu le miroir cynique de la société acide n’était pas fait pour déplaire, a priori, à Philippe. La télé renouvelait sa vie. Téléphile néophyte parmi les repentis au milieu de toutes ces stars privées de télé, il voyait se dessiner dans son esprit les contours de son nouveau grand projet : monter une comédie musicale dans l’air du temps. Il imaginait des stars méconnues ou oubliées chantant les chansons de Françoise Breutz tout en éructant.

Accoudé à l’autre bout du comptoir, Ibou Ba continuait de se lamenter. Il se perdait dans les yeux bleus glacés d’Anny Duperey qui tentait de le consoler. Daniel Jonhston avait été malencontreusement entraîné par Jay Jay Johanson et Bobby Ewing qui lui firent gouter de la super herbe dans l’arrière cuisine. Ils sortirent tester la qualité de l’air, puisque concernant l’eau minérale des volcans d’ici, leur opinion était faite. Dans son veston foncé en velours, ses grosses bottines bleues, il était libre Daniel.

Derrière la Clio de Jay Jay garée de traviole, pointaient le bout des nez de Françoise et Charlotte, réunies pour une nuit dans les rues du Puy. Daniel faisait des petits sauts de cabri sur le trottoir et les gens le regardaient comme si c’était un demeuré pendant que Jay prit la tête du wagon. A ses hanches se tenaient, dans l’ordre, Françoise, déchaînée, Thierry Vigneron, sorti de sa léthargie, Jean-Marc Silvestre, Bobby Ewing, et Charlotte, qui fermait la marche, défoncée à l’absinthe 70 degrés. La farandole des joyeux fêtards s'étendait tout au long des entrées de boites de nuits du boulevard, Daniel courait comme un dératé à côté de la ribambelle de pochetrons, pendant que Philippe revenait sur le peloton par derrière pour saluer Charlotte. Il n’avait pas couru aussi vite depuis le cross du collège derrière l’irrattrapable kenyan.

A l’intérieur, personne ne voulut faire de farandole, alors, Ibrahim Ba se rapprocha du disc-jokey pour lui demander, si, dans le souci de lui remonter le moral, il pourrait pas passer « Liberté » de Gilbert Montagné, du Boney M, ou, à la limite, « la Danse des Canards », que lui fit découvrir Christophe Dugarry à l’époque des Girondins. Anny Duperey tenta de s’imposer fermement. Passe plutôt un tube gitan des Gipsy Kings, ordonnait la femme fatale au passeur de disques dépassé. Elle agissait auprès d’Ibrahim telle une épouse consciencieuse, limite femme-mère. « Si elle devient trop envahissante, je vais succomber au syndrome de la femme castratrice et je dois sortir de cette spirale négative, je dois reprendre le dessus », se dit intérieurement Ibou.

dimanche 1 mars 2009

MENU TUMULTE

« Je voudrais avoir, comme les animaux, l’instinct de nos besoins, tout deviendrait évident et facile, au lieu de balancer entre l’impatience des désirs superficiels et la recherche confuse des besoins profonds. »

« On naît en état de mort et l’on se réfugie dans la grandiloquence, qui est l’ivrognerie de l’âme, et l’on s’efforce de provoquer avec ses idées un fracas que l’on voudrait majestueux et l’on se satisfait de ce menu tumulte, jusqu’à ce que l’on parvienne au bord du vrai silence ».

Paul Guimard, in Les Choses de la Vie.