samedi 18 avril 2009

HALALI POUR UN BERRICHON, TOME II

« Ibou, Ibou, t’es où merde ? Déconne pas ! Je suis grave HS ». C’était Thierry. Il en pouvait plus le pauvre, tout essoufflé qu'il fut par la farandole qui a fait fureur dans le quartier ameuté. Dans la ronde cosmopolite remédiant au désordre ambiant de la station thermale, où la légende voulait que Bobin et d’Estaing eurent eux aussi à faire avec ce que notre ancien président avait institué en 74 : une police de caractère. Dans une parodie de retour aux valeurs giscardiennes, Thierry eut la nostalgie des J.O. de 1980 à Moscou. Enfin, la nostalgie, c’ est beaucoup dire. « Ouais, on n'avait pas boycotté », se rappelait-il. Alors pourquoi tous ces souvenirs venaient-ils se mélanger, dans le tourment dévastateur par les quelques vingt-trois bières ingurgitées ? Les souvenirs de Monsieur Perche 1981 étaient si peu tolérables qu’il demanda du secours à Ibou Ba.

Comme à Braga en 97 contre le Portugal, Ba se faufila à travers une forêt de jambes. Et catapulta un shoot qui, on le sait aujourd’hui, sera fatal. L’épique, le lendemain, annonça la retraite officielle de, je cite, « Monsieur Thierry Vigneron, perchiste en perte de vitesse depuis si longtemps ». « T’es chouette, Ibou », titrèrent-ils même en pages intérieures. Ignorants eux-mêmes, que Ba avait confondu vitesse et précipitation et qu’il avait envoyé la Clio jet set de Jay-Jay à la gueule de Yannick Stopyra, patron du Palace depuis son licenciement du FC Mulhouse.

Jean-Marc Sylvestre interrompit Thierry Vigneron dans le déroulé de son aventure moscovite pour l’interroger sur la pertinence du boycott occidental des jeux soviétiques. Il faillit s’aventurer sur le thème de la nostalgie à propos des nageuses est-allemandes, mais Jean-Marc s’avoua finalement qu’on en avait assez fait sur ce plan là ce soir, tandis que, se redressant d’un coup sur sa chaise, Bobby s’auto-congratulait bruyamment pour le joint d’herbe qu’il venait d’achever consciencieusement. « Je suis non seulement le cousin, mais aussi l’agent de Franck et Mickaël », déclara Jean-Marc. Se retournant vers Thierry, il le questionna sur ce qu’il demandait quand il allait chez le coiffeur pour avoir cette flamboyante coupe de cheveux à la Duguesclin. Jean-Marc voulait la même.

Anny et Ibou, Françoise et Philippe, Bobby et Jean-Marc, Thierry et Yannick, Jay Jay et Daniel trinquaient les chopes que leur avaient apportées Zazie. Dans un silence de cathédrale, Bobby prit la parole et se mit à évoquer des histoires invraisemblables afférentes à la fin du Tout. Selon lui, les sages ont écrit en des temps anciens des textes jamais parvenus à nous, Modernes, et qui mettent en lumière certaines caractéristiques de notre époque en tant qu'issue fatale à l'Univers. Le cosmos devra se refermer sur lui-même, expliquait Bobby dans son complet-veston à la chemise ouverte jusqu’au troisième bouton, dans une spontanéité analogue à celle qui présida jadis à son apparition subite. Cette sanction finale – l’Apocalypse - interviendra lorsque l’Infini Mystère de l’Humanité sera enfin percé. Ou, quand les hommes seront parvenus à bout des dernières questions restées sans réponse (exemples : comment Éric des Musclés cuisine-t-il la merguez ? Où est passé le costume de chevalier blanc de Bernard Menez dans Le Chaud Lapin ? Jean-Claude Dus de Paris est-il bon bricoleur ?). Il sera alors décrété l'Hallali - enfin ! s’exclameront certains. Bobby dit qu’alors, la terre s’éventrera, déchirée tout du long, du pôle nord au pôle sud. La lave qui se dégagera de cette métamorphose anéantira les bâtiments, les villes, les musées, les livres, les parcs d’attraction, les usines et les hommes qui en vivent.

Mais Ibrahim ne croyait pas une seule seconde à ces sornettes. à son tour il se leva. Il se souvenait de ce que lui avait dit le grand prophète havrais Alain Cavéglia un soir de victoire assez nette sur l’OM de Marcel Dib et Hamada Jambay à Deschaseaux : « Un grand chanteur va arriver sur terre vers l'an 2003, il portera des vestes en tweed gris, des mocassins marrons et une barbe travaillée avec fausse négligence. il chantera au monde incrédule la beauté de ses tourments de garçon en proie à des soubresauts existentialistes dans ses rapports à la « belle famille ». Et ce sera l’œuvre d’art ultime, l’avènement de la puissance des mots, des images et de la chanson, et la planète sera rouge de honte d’avoir ignoré durant tant de siècles mielleux le pouvoir de ces complaintes intimistes. rouge à s’en brûler les ailes. Ce sera la fin du monde dans un énorme incendie ». Les autres étaient ébahis, certains baillaient. Ibrahim venait d’annoncer l’Antéchrist Vincent Delerm, il en était persuadé sans nuance.

A 700 kilomètres de là, Jeff Larios était sur le point de se réveiller. Une bonne nuit de sommeil après un jeudi particulièrement harassant. Non seulement il avait vaqué à ses obligations routinières d’aiguilleur du ciel, mais il dut surveiller la portée d’Elvis Renée, la hamster de son ancien coéquipier stéphanois Cricri Lopez. Avec sa moustache d’hidalgo et sa grosse chaine au cou brillant dans le soleil matinal, Larios était assis à même le vieux parquet de sa turne dans les favellas de Kinshasa où il est associé en affaire avec Jean-Marc Miton depuis seize ans maintenant. L’appel de l'Afrique a cueilli ces trois-là à leur retraite sportive, suite à une tournée commune en Guinée avec une équipe de vétérans. Les hamsters de lopez avaient truffé le sol de crottes minuscules. Larios était tellement fatigué qu’il faillit ne jamais se réveiller. Heureusement, la Providence. Somptueuse, Divine, arrogante Providence. L’arrogance, celle qu’on lui avait apprise lors d’un passage éclair au club de l'OM.

A ce moment homérique, dans l’avion qui menait les copains du comité des repentéléphiles vers Kinshassa, Ibrahim eut la conviction qu’appeler son Tonton Larios serait une excellente idée à ce moment précis du synopsis. Il y a à peine deux paragraphes, ils étaient dans un pub d’Auvergne, et les voilà dans un long courrier. Aux côtés de Roger Giquel, bourré de Lexamol (la trouille des coucous), Françoise Breut était captivée par Le 13e Guerrier de Mac Tiernan, tandis que Thierry dormait comme un sportif. « Peux-tu, concrètement me passer le sel ? » demanda Bobby à Anny, avec qui s’était engagée une conversation très théorique au décollage. « Oh, les gars, vous imaginez vous la gueule que ferait le vieux Larios si on débarquait tous dans sa bicoque, hein, comment y serait vénér’ ! » Ibou est free dans sa tête, pensait Jay Jay qui veillait sur Daniel. « Bravo, tu as dessiné un « V » avec ta bave sur le hublot ! » songea tout haut Catherine Benguigui totalement fascinée.