mardi 24 juin 2008

LES COSMONAUTES JOUENT EN 2-5-3

La seconde période de la prolongation des Russes en quart de finale est l’apogée du jeu collectif, de la défense intelligente, du dribble précis, de la passe juste et du déploiement tactique altruiste.

L’agressivité est rare, jugulée, parcimonieuse, à bon escient. Contrairement à leurs adversaires qui courent à fond et maladroitement sur tous les ballons (en phase de pressing) ou défendent « avec les yeux » (en phase de repli dans le grand rectangle), ils forment toujours la même masse compacte, à équidistance les uns des autres, se repliant avec la discipline d’une équipée d’officiers surentraînés invitée à danser sur une choré de Béjart avec Noureev.

Si les Russes étaient des crayons, ils dessineraient des schémas parfaits sur la pelouse verte, mais ce sont des athlètes slaves à l’esprit chevaleresque qui attaquent avec hargne et sang-froid, calme et altruisme. Ils disposent d’un physique plus affûté que celui de leurs adversaires car leur saison ne fait que débuter. Mais ils ne dilapident pas ce capital dans une quête acharnée –et désordonnée- de tous les instants comme d’autres équipes moins lucides et surtout moins rusées seraient tentées de le faire.

Ils reportent les bénéfices de cet avantage comparatif sur leurs points forts : l’intelligence de jeu, la technique en mouvement, les déplacements coulissants. Ils défendent comme ils dribblent, d’ailleurs : lentement, en marchant. Ne déploient leur agressivité que lorsque nécessaire, c’est-à-dire dans les duels en zone dangereuse, sans jamais se jeter dans le défi physique – qui n’est pas leur point fort.

Cette manière de défendre tout en technique et en équipe rappelle la Grèce de 2004 – modèle indépassable en la matière : le seule équipe en 80 ans de tournois internationaux à l’avoir emporté grâce à sa défense technique et collective. A la différence près que la Grèce reportait directement son avantage physique comparatif (ses joueurs étaient remplaçants en club) sur son point fort : la discipline défensive et l’autorité dans les duels.


Les Russes prennent du bon temps avec leurs épouses avant la demi-finale

Offensivement, les Russes forment un escadron de joueurs au dribble simple et instinctif, économique et pratique. Les déplacements sont aussi esthétiques qu’utiles. Les prises de risque pertinentes et donc efficaces. Le tempo n’est jamais précipité. Les coups de rein et diverses accélérations ne servent pas à passer en force, mais à élargir le champ des possibilités: passe en avant ? dribble ? centre ? frappe ? diagonale ? passe en retrait ? L’ombre du Mexique de 2002 plane sur les Alpes.

La team du gourou batave comprend huit joueurs de champ de corpulence petite et agile, à la technique individuelle sûre et polyvalente : l’arrière gauche est un milieu créateur doté d’un physique qui lui permet de remplir les missions défensives avec efficacité, le libero du milieu est également un milieu offensif repositionné très bas. Les deux joueurs qui l’entourent ne sont pas non plus des milieux défensifs modernes, c'est-à-dire de type grand et costaud. Ce sont également (Semchov et Zyrianov) d’excellents manieurs de ballon.

Le quatrième composant du milieu de terrain (Saenko puis Torbinsky) joue un rôle tactique. Il est positionné très haut à droite (c’est d’ailleurs un attaquant de formation) pour empêcher le back gauche adverse de monter ET est le pendant côté opposé du maître à jouer de l’équipe -celui qui s’inscrit à la suite de Platini et Maradona au concours de « j’écrase la compète ».

L’avant-centre est grand, bon de la tête, solide, utilise son corps pour faire écran et libérer des espaces. Il est à l’aise des deux pieds pour jouer court ou long. Il est plus mobile que ne le laisse supposer son physique dégingandé. Les deux grands arrières centraux qui complètent l’équipe sont positionnés juste devant le grand rectangle et assurent leurs interventions en faisant toujours face au jeu. Leurs relances sont propres. Bien que moins mobiles que leurs équipiers, ils montent occasionnellement participer au jeu offensif pour délivrer des boulets de canon des trente mètres.

L’équipe de Russie ne ressemble pas aux équipes modernes qui pressent, se jettent vers l’avant et marquent en moyenne deux passes après la récupération du ballon. Sa philosophie de jeu est basée sur une défense basse, et une primauté à la précision dans la circulation du ballon et la transmission de celui-ci – au détriment de la vitesse d’exécution d’ensemble. La technique individuelle est au service du collectif sublimé par cette sorte d’instinct à jouer ensemble que les équipes soviétiques ont porté au pinacle en leur temps – 1960, 1986 – et dans d’autres disciplines – le basket, le hockey.

La formation du professeur néerlandais se compose de deux défenseurs costauds et calmes. Devant eux, un libéro du milieu (véritable meneur de jeu à la Pirlo ou à la Redondo) est placé au même niveau que les latéraux, sentinelles insatiables. Un cran au-dessus se situent les deux relayeurs, pièces maîtresses du dispositif par leur double-rôle de couverture axiale défensive et de courroie de transmission entre l’avant et l’arrière, la gauche et la droite. Deux ailiers percutants et permutants entourent une pointe pour boucler le système. C’est un 2-5-3.

C’est une bande de cosmonautes pour qui le football est un passe-temps qui concurrence sérieusement les parties d’échec pour s’entraîner entre deux conquêtes spatiales.

jeudi 5 juin 2008

FINALE DU TOURNOI ALPIN DE FOOT 2008

Vienne, dimanche 29 juin 2008 (Agent Stass). – La finale de l’Eurofoot proposera ce soir une affiche inédite entre l’Italie, championne du monde en titre, et la Suisse, co-organisatrice de la compétition. La redoutable formation transalpine partira avec les faveurs des pronostics et n’est plus qu’à 90 ou 120 minutes (et une hypothétique séance de tirs aux but) du doublé Mondial-Euro - comme la France il y a huit ans*.

Les Helvètes, galvanisés par leur public, tenteront de leur côté d’achever en apothéose un parcours inquiétant au premier tour, puis flamboyant dans la phase finale, mais pour le moins inattendu. Moribonds lors des matches de préparation, avares en buts lors des matches de poule (deux nuls vierges et une victoire 1-0), les coéquipiers d’Hakan Yakin se sont frayés un chemin en finale après un quart de finale enfin réussi face à la Croatie (3-1), puis, en battant contre toute attente les favoris allemand à l’issue d’une demi-finale de dimension tragique ; les voisins alpins ne se départageant qu’à l’issue de la séance des tirs aux buts (2-2, 5-4 tab).

Les espagnols ont produit 33% du jeu, mais ils ont encore perdu en quart de finale.

Les co-organisateurs de la compétition rencontreront un autre voisin en finale, mais lequel ? Les Azzuri, qui n’ont pas laissé l’opportunité aux Bleus de prendre leur revanche de la finale de la coupe du monde berlinoise. Les Français, qui rêvaient d’un parcours de revanchards (Grèce en quart pour venger 2004, Italie en demi pour venger 2006 et Allemagne en finale pour remettre les pendules à l’heure une fois pour toutes), se sont à nouveau inclinés face à leur nouvelle bête noire. Trop limitée au niveau créatif, dépendante d’un Ribery de moins en moins décisif au long de la compétition – à l’image de son penalty arrêté à la 72e minute par Buffon – les coéquipiers d’un Thuram vaillant mais pris de vitesse en fin de compétition, ont été domptés (2-0) par la technique collective des Italiens qui compteront à nouveau sur leur somptueux milieu de terrain (Pirlo, Ambrosini ou Aquilani, De Rossi ou Perotta, Camoranesi), leur défense solide ainsi que sur leur buteur maison Toni (déjà cinq buts) pour remporter leur second trophée européen quarante ans après 1968.

La présence de l’équipe suisse en finale confirme en tout cas la longue tradition d’un tournoi européen dans lequel, régulièrement, des équipes inattendues se fraient un chemin parmi les favoris éreintés – contrairement au Mondial où les équipes surprise se cassent systématiquement les dents en demi-finale. Les Suisses rééditeront-ils la performance de la Grèce en 2004 et du Danemark 1992, ou bien échoueront-ils aux portes de l’exploit comme la Tchéquie 96 et la Belgique 80 ? La réponse se situera dans la capacité du bloc suisse à juguler l’expérimentée escouade menée par le génial Andrea Pirlo, au sommet de son art, épaulé par des créateurs transcendés par une aventure collective qui pourrait permettre à la Squadra de rejoindre les grandes équipes du passé (Allemagne 74, Pays-Bas 88, Argentine 86, Brésil 70 et France 2000) au panthéon des équipes hors du commun.

Pour parvenir à prendre en défaut une défense transalpine orpheline de Cannavaro - mais qui a trouvé en Chielini un nouveau commandeur digne héritier des Scirea et Baresi – les « Helvètes Undergrounds », comme tout le monde les appelle désormais, compteront sur la fougue de leur dynamiteur de défense, Tranquillo Barnetta. Tout juste remis d’une blessure à l’entame du tournoi, il a offert la passe décisive à Frei lors de l’unique but marqué lors du premier tour (contre le Portugal), but qui a qualifié son équipe, avant de marquer un but lors des deux matches couperets, contre la Croatie et l’Allemagne. Articulée autour de la révélation du tournoi, Inler, la formation suisse a épaté son monde en faisant preuve d’un calme défensif (Müller-Senderos), d’une maitrise collective (Fernandes-Behrami-Inler) et d’une détermination (Lichsteiner, Magnin, Frei) suffisante à renverser des montagnes. Si Yakin, dont la touche technique peut faire la différence à tous moments (à l’instar de son magnifique but face à la Croatie en quart) est dans un grand jour, avec l’apport de jokers tels que Vonlanten (pur sa vitesse) et Gygax (le héros de la demi-finale), la Suisse peut espérer inscrire, pour la première fois, son nom au palmarès d’une grande compétition internationale.

Hier, l’Allemagne s’est adjugée la troisième place du tournoi en écrasant des Bleus délavés (3-0). Les coéquipiers de Michael Balläck pourront s’en vouloir longtemps de ne pas avoir su se mettre à l’abri d’un retour suisse en demi-finale, alors qu’ils menaient 2-1 jusqu’à cinq minutes du terme. Les Français, quant à eux, s’apprêtent à tourner définitivement une page de leur Histoire : on ne devrait plus revoir aucun des champions du monde 98 avec le maillot tricolore, puisque Henry, Thuram et Vieira ont annoncé qu’ils mettaient un terme à leur carrière internationale à l’issue de cette ultime défaite.

Finale de l’Euro 2008, ce soir à 20.45 au Hernst-Happel Stadion de Vienne.

Suisse: Benaglio; Lichtsteiner, Müller, Senderos, Magnin ; Behrami, Fernandes, Inler, Barnetta ; Frei, Yakin.

Italie: Buffon ; Panucci, Barzagli, Chiellini, Zambrotta ; Pirlo, Ambrosini, De Rossi ; Camoranesi, Di Natale, Toni.

* La RFA a réalisé également le doublé en 72-74, mais dans l’autre sens (Euro-Mondial), réputé plus facile.


dimanche 1 juin 2008

Commémoration standard

L’alarme se déclenche cinq secondes après le début du discours du premier magistrat qui lit avec emphase le dos tourné aux vingt-cinq personnes entassées dans le minuscule hall du lycée Salvator-Allende non climatisé.

L’adjointe à l’environnement ne cache pas son agacement et l’exprime en ne faisant pas l’effort de dissimuler des bruits de bouche qui mange des petits gâteaux et en remuant sa tête dans tous les sens comme pour dire « olala, c’est qui le responsable de l’alarme ? ».

Le potentat local fait face au portrait du démocrate chilien, l’implorant dans un dialecte de bravoure et d’insoumission, les bras levés et la voix couverte par la sonnerie martiale qui s’arrête en fin cinq secondes pile à la fin d’un speech qui se termine ainsi, « puissent les prolétaires de tous les pays s’unir contre l’impérialisme brutal des Nations dominantes et contribuer à l’éveil d’une Nation nouvelle, respectueuse des principes démocratiques et fraternels ».

Le maire se retourne et on l’applaudit. Une gerbe est déposée. Le type de la sono lance un disque de musique folklorique toltèque - c’est un enregistrement du best-of des vedettes américaines des shows de Manu Chao.

La musique s’arrête et un type à barbichette prend la parole pour lire un texte de celui à qui on rend hommage, le jour du trentième anniversaire du coup d’Etat orchestré par les forces impérialistes dominantes.

En arrière-fond résonne une autre bande, une voix atonale, monocorde, un enregistrement grésillant, un discours du chef d’Etat démocrate d’époque. C’est peut-être la version originale de celui que le type – une sorte de Charles Berling en prof de lettres en lycée technique - vient de lire.

Dans la foulée, la musique reprend, et on est tous là, serrés comme des manifestants contre le chômage et la guerre place de la Nation, à l’écouter religieusement – mais laïquement.

L’alarme redémarre, c’est pas franchement la nouba du siècle. La musique continue. Elle est parfaite, on dirait du Ricky Martin vintage, tout le monde fait comme pour se prosterner devant le portrait du héros martyr accroché sur le mur en contre-plaqué.

Terminons sur un hymne commémoratif standard, c’est le dernier couplet ; un élu du Parti bolchevique serre les dents.