vendredi 24 juillet 2009

L'ATELIER

« Voilà Patrick,
- bonjour Patrick,
- et lui c’est Philippe,
- bonjour Philippe, moi c’est Jérémie,
- bon, qui a une idée ?
- Moi j’en ai une, c’est d’utiliser les mots donnés pour le Printemps des Poètes, ils sont au nombre de dix,
- est-ce qu’on peut conjuguer les verbes ?
- si on rencontre une difficulté à placer un mot, oui,
- mais ça rabaisse le niveau de la contrainte, si on joue le jeu à fond, autant les utiliser tels quels,
- alors, voilà les dix mots : … »

Nous sommes huit dont sept préretraités de la fonction publique. Les labyrinthiques urbanités de la nouvelle ville abritent d'étranges réunions. Tout le monde a sorti son stylo et son cahier grand format grands carreaux, tout le monde est con-cen-tré, lunettes de lecture ajustées sur le nez, alors, voilà les dix mots….

Patrick écrit les dix mots sur son cahier grand format grands carreaux et sort fumer une clope, tu comprends, l’inspiration c’est une équation à deux inconnues : cigarette et café. Patrick sous-traite pour la société de transports en commun de l’agglomération et fait des mots-croisés. Sa voisine a les cheveux blonds et une fille. Son voisin boite mais a fait une apparition sensationnellement libidineuse lors de la Fête du Livre pour parler à deux jeunes filles dans un bistrot de ses projets littéraires.

Philippe articule bien et écrit des choses illisibles sur son grand cahier sans carreaux pendant que Sophie, l’animatrice, fait le point sur l'agenda des séminaires de l’association. Attention, n’oubliez pas que le week-end « écriture gastronomique » est reporté d’une semaine au 14 juin.

La voisine de l’animatrice demande si toutes les cotisations ont été réglées, l’animatrice répond non, il m’en manque deux. La voisine dit, ah moi j’ai pas payé pour le stage écriture policière, mais j’avais fait un chèque pour celui d’avant auquel j’avais finalement pas participé. Dans ce cas, ça compense, intervient Patrick, mais faudrait pas exagérer. On n'est pas dans la consommation de loisirs ! dit-il ivre de rage. La voisine de l’animatrice part s’isoler pour composer son texte.

Une heure plus tard, l’animatrice et Patrick discutent de la pertinence de l’efficacité des bonshommes en orange employés dans le métropolitain, l’animatrice dit que parfois ils demandent le titre de transport, Patrick dit c’est pas normal, ils ont une fonction de conseil uniquement, alors ils abusent dit l’animatrice, bon on passerait pas à la lecture des textes ? interrompt le boiteux agacé.

Patrick commence par une histoire de cueillettes estivale avec dans la première phrase « lutte des classes » et « abricot-lontah ». C’est l’histoire d’un étudiant qui part à la cueillette et qui en chie, tout ça par amour d’une camarade. La blonde, c’est cul-cul, ça parle d’amour avec des jolis mots du dictionnaire et des métaphores officiellement trop nazes. La voisine de l’animatrice, c’est nul, Philippe non plus, l'animatrice lira pas son texte, elle a honte, elle trouve ceux de Philippe et Patrick trop biens.

Finalement plus le texte est court, plus la contrainte est forte, c'est ainsi que j'introduis mon texte, qui contrairement à ce que je viens de dire est moyen long :

« Lors de sa dernière tentative, Otto a effectué un bond à quinze mètres soixante-deux. La marque laissée par le triple sauteur sur la sable tiède a la forme d’un abricot. Son entraîneur l’encourage à recommencer. Otto hésite à tout envoyer valser. ‘’Tu dois travailler tes points faibles, sinon tu vas passer pour un clown’’, harangue le coach gagné par la nervosité. L’imminence des compétitions interrégionales qualificatives suscitent en lui le sentiment bizarre que ses athlètes ne sont pas au maximum de leur potentialité.
L’entraîneur lève les yeux vers la tribune d’Honneur, un bijou d’architecture balayé par un vent glacial. Il trace dans la cendrée de nouveaux repères pour la course d’appel de saut en longueur. Il utilise son passe-partout permettant d’ouvrir la porte du vestiaire ainsi que les grilles du stade.
Mais la perspective lointaine des Jeux Olympiques en Chine ne semble décidément pas aiguiser l’envie de concourir de ses poulains. ‘’Je franchirai le fleuve Amour à la nage pour participer s’il le faut’’, rétorque l’athlète. Mais Otto ment comme un bachi-bouzouk en survêtement chic. »

Avec un plus haut niveau de contrainte, comme annoncé précédemment :

« Réveillé en sursaut par la polyphonie bizarre d’un orchestre à cordes miniature, l’astronaute reconverti en ramoneur chic se prépare pour son rendez-vous avec l’amour. Deux litres de jus d’abricot plus tard, son bachi-bouzouk de voisin gare sa Datsun bleue sur le parking collectif. Il y a en ville des hôtels de passe partout, où rôdent alentour des femmes sans bijoux qui aiment qu’on les envoie valser. On y trouve aussi plus de clowns au mètre carré que dans les night-clubs de la Costa Brava. »

Tout le monde a ri de la subtile combinaison « hôtels de passe partout », Philippe m’a reproché de ne pas utiliser la contrainte convenablement, et à la fin, j’ai été poltron en réglant ma cotisation annuelle à l’association, bien que pas très sûr de devoir un jour participer à un autre atelier. Les ateliers d’écriture, c’est nul.