dimanche 7 juin 2009

HANTE ICI ARIEL PINK

Au fin fond du jeudi de l’Ascension, le Great Pretender de Beverly Hills aux cheveux sales a foulé sol bruxellois de ses souliers italiens à motif Lépoard. Entouré de ses dévoués apôtres, le messie de la pop music post-moderne a traversé le « 17 Zennestraat » afin de déposer un carton de disques et de t-shirts sur le stand prévu à cet effet, sunglasses au nez. Que ce fût par timidité ou afin de cacher les stigmates de fatigue inhérents aux voyages en mini-van, peu nous en importa puisqu’il était bel et bien là, le bougre – annoncé depuis longtemps, le concert aurait pu ne pas avoir lieu, faute de point de chute (ce qui eût été pour le moins très grave ; et ce n’est pas parce que vous êtes là que je vais me taire !).

Constatation d'usage: la silhouette de haricot sec rachitique du dénommé Ariel Pink brise en deux le mythe du Californien sportif et bien dans sa peau. En revanche, son air absent d’autiste taciturne, vaguement préoccupé par on-ne-sait-quoi, confirment qu’il est habité par quelque chose d'indicible – ou qu’il a inhalé de la fumée bizarre. Sur scène, nous constaterons plus tard que l'aura et le magnétisme que dégage ce Bernard Minet bossu sous acide d'un mètre soixante-deux relève d'un mysticisme exclusif aux rares génies.

Cela fait quatre ans désormais que le loisir nous est donné d'écouter ses disques, et, force est de constater que ce type EST le Passé, le Présent et le Futur de la musique pop, l'alpha et l'oméga du rockabilly dérangé, le yin et le yang de la variété éthérée, le prophète du heavy metal en barre chocolatée, le parangon de la new wave déraillée, l'ultime rejeton du folk vaporeux.

Il est la plus improbable rock star lunaire depuis Syd Barrett, qui, vêtue d'un t-shirt « Joe Is Cool », annone le premier couplet a capella de Flashback, son dernier 45 Tours en date, une merveille de chanson hard rock FM dans la lignée des plus grandiloquents tubes de Mötley Crüe, Bon Jovi, Alice Cooper et Iron Maiden.

La tournée européenne du Haunted Graffiti vient à peine de commencer. La veille, il était en Grande-Bretagne, le lendemain, il sera en Grèce. Mais le quintette est rôdé par une traversée des Etats-Unis de long en large en compagnie des sympathiques Vivian Girls. Enfin entouré d'un véritable orchestre, le fils indigne de la famille Rosenberg n'a plus à se préoccuper que d'une seule chose: le chant. On se souvient l'avoir vu il y a trois ans dans un club techno d'Anvers, uniquement assisté d'un bassiste, d'une claviériste et d'un lecteur K7 pour le playback « all other instruments ». Le revoir accompagné de quatre musiciens pour ainsi dire « habités » par leur mission a quelque chose de rassurant.

Excellente (demi-)surprise, le Graffiti enchaine avec Trepanated Earth, le morceau épique d'une dizaine de minutes qui ouvre Worm Copy, le plus « Captain Beefheart et Zappa-esque » de ses albums « faits à la maison » (tous ses disques jusqu'à l'année dernière ne sont que des numérisations de démos enregistrées sur 8 pistes dans sa chambre entre 1995 et 2002): un slalom frénétique sur la bande FM, entre synthés cosmiques et ponts boogie, ponctué de discours misanthropes (« la race humaine est une merde de chien »).

Il n'était pas évident d'adapter tout ou partie de la discographie fleuve du crooner freak de Los Angeles. Dans une configuration guitare-basse-batterie-synthés, ce sont les morceaux les plus « n'roll » qui tirent leur épingle du jeu. The People I'm Not, Higher and Higher, Doggone (Shegone) et même Hardcore Pops Are Fun sont de cette veine. Un certain type de « rock à socquettes » typique de l’Amérique des fifties - d'Eddie Cochran à Buddy Holly - y télescope la pop naïve des Monkees et le folk psychédélique Byrds-like des sixties. Le tout passé à la moulinette des changements de cadence soudains, des breaks imprévisibles et des lignes mélodiques hantées qui extirpent de ces références traditionnelles une moëlle exquise, inouïe et légère.

Can't Hear My Eyes, pénultième single en date (exclusivement disponible en format vinyle 7''), donne lieu à une interprétation poignante. Ce morceau indique une des voies dans lesquelles Ariel Pink s'avance désormais qu’il enregistre avec un véritable groupe. Le maelström auditif et fourre-tout laisse place à un son scintillant qui fait le lit d'un soft-rock de compétition, typique des ballades seventies FM.

La sono a mis un bon vingt minutes avant de trouver ses marques. Jusqu'à ce que Pink décide, en définitive, de passer DEVANT son enceinte de retour, ce qui coupe définitivement court aux larsens intempestifs. Tout est en place pour le climax du show que constituent les deux « classiques » issus du premier album, The Doldrums, déflagration indélébile qu’on qualifierait aisément d’ « OVNI musical » à ne jamais s’en remettre, si cette expression n’était pas tant galvaudée.

Ce disque renferme les plus fabuleuses pépites de new wave lacrymale à synthés jamais enregistrées depuis, disons, Eyes Without a Face de Billy Idol, ou, mettons, les deux premiers albums de Tears for Fears. Les deux titres extraits qui seront joués ce soir-là poussent l'idée de la pop mélancolique bricolée dans ses derniers retranchements. Les sombres et froides mélodies de For Kate I Wait, plus grand succès (tout est relatif) du Graffiti, déclenche une agitation certaine dans le public (une petite quatre-vingtaine de disciples) jusque-là plus respectueux que véritablement concerné. Pink lâche la bride et donne libre cours à une théâtralité maladroite et exubérante sur Among Dreams, ritournelle noisy branlante vaguement cousine de Pavement, sur laquelle sa voix de falsetto fantomatique et enfantine cultive l'héritage d'un Brian Wilson lo-fi.



La première partie s'achève en pente douce avec Phantasthma, ballade issue du répertoire récent que ne renieraient pas un Bryan Ferry ou un Marc Bolan. Fieu, bonjour l’overdose de références. Mais ce serait ne pas pousser l’analyse jusqu’au bout que faire mine d’ignorer que si la musique d'Ariel Pink's Haunted Graffiti attire ces dithyrambes, c’est parce qu’elle est unique, inédite, en plus d’être transversale. Tel un vieux tourne-disques à lecture bancale qui rend des décennies de sons régurgités sur un poste transistor réglé sur fréquence ondes moyennes, cette musique atteint son équilibre en flirtant sans cesse avec le ridicule magique, tout en évitant, par on ne sait quel miracle, de tomber dans la caricature pathétique de connivence cool et tendance (mein Gott ! qu’est-ce que cette dénomination abominable de « hipster garbage » fréquemment employée aux USA pour qualifier la musique du Pink hérisse les poils !) .

Le déglingo en jean imprimé batik réplique aux WOHOHOHOHO de la salle qui encourage un rappel en fredonnant le tube disco de supérette Tarzan Boy avant d’entonner le refrain de Live Is Life, du groupe autrichien Opus – deux one-shoots qui totalisent douze semaines consécutives de numéro un au TOP50 français durant l’été 1985. Ça se termine avec Are You Gonna Look After My Boys?, comptine « baroque-funk » sonnant comme un 33T de Prince joué à la vitesse « fois deux », et Rama Ya, dans l’ombre des frères Ramone, hop, comme ça, à l’arrache, merci d’être velu.

SETLIST: Flashback - Trepanated Earth - Trespian City - Higher & Higher - Beefbud - Can't Hear My Eyes - Baby Comes Around - Shegone Doggone - Fot Kate I Wait - People I'm Not - Among Dreams - Hardcore Pops Are Fun - Phantasthma - B.L.B.S :-: encore 1: Jack Off - Are You Gonna Look After My Boys? - encore 2: Rama Ya.