L’agressivité est rare, jugulée, parcimonieuse, à bon escient. Contrairement à leurs adversaires qui courent à fond et maladroitement sur tous les ballons (en phase de pressing) ou défendent « avec les yeux » (en phase de repli dans le grand rectangle), ils forment toujours la même masse compacte, à équidistance les uns des autres, se repliant avec la discipline d’une équipée d’officiers surentraînés invitée à danser sur une choré de Béjart avec Noureev.
Si les Russes étaient des crayons, ils dessineraient des schémas parfaits sur la pelouse verte, mais ce sont des athlètes slaves à l’esprit chevaleresque qui attaquent avec hargne et sang-froid, calme et altruisme. Ils disposent d’un physique plus affûté que celui de leurs adversaires car leur saison ne fait que débuter. Mais ils ne dilapident pas ce capital dans une quête acharnée –et désordonnée- de tous les instants comme d’autres équipes moins lucides et surtout moins rusées seraient tentées de le faire.
Ils reportent les bénéfices de cet avantage comparatif sur leurs points forts : l’intelligence de jeu, la technique en mouvement, les déplacements coulissants. Ils défendent comme ils dribblent, d’ailleurs : lentement, en marchant. Ne déploient leur agressivité que lorsque nécessaire, c’est-à-dire dans les duels en zone dangereuse, sans jamais se jeter dans le défi physique – qui n’est pas leur point fort.
Cette manière de défendre tout en technique et en équipe rappelle la Grèce de 2004 – modèle indépassable en la matière : le seule équipe en 80 ans de tournois internationaux à l’avoir emporté grâce à sa défense technique et collective. A la différence près que la Grèce reportait directement son avantage physique comparatif (ses joueurs étaient remplaçants en club) sur son point fort : la discipline défensive et l’autorité dans les duels.
La team du gourou batave comprend huit joueurs de champ de corpulence petite et agile, à la technique individuelle sûre et polyvalente : l’arrière gauche est un milieu créateur doté d’un physique qui lui permet de remplir les missions défensives avec efficacité, le libero du milieu est également un milieu offensif repositionné très bas. Les deux joueurs qui l’entourent ne sont pas non plus des milieux défensifs modernes, c'est-à-dire de type grand et costaud. Ce sont également (Semchov et Zyrianov) d’excellents manieurs de ballon.
Le quatrième composant du milieu de terrain (Saenko puis Torbinsky) joue un rôle tactique. Il est positionné très haut à droite (c’est d’ailleurs un attaquant de formation) pour empêcher le back gauche adverse de monter ET est le pendant côté opposé du maître à jouer de l’équipe -celui qui s’inscrit à la suite de Platini et Maradona au concours de « j’écrase la compète ».
L’avant-centre est grand, bon de la tête, solide, utilise son corps pour faire écran et libérer des espaces. Il est à l’aise des deux pieds pour jouer court ou long. Il est plus mobile que ne le laisse supposer son physique dégingandé. Les deux grands arrières centraux qui complètent l’équipe sont positionnés juste devant le grand rectangle et assurent leurs interventions en faisant toujours face au jeu. Leurs relances sont propres. Bien que moins mobiles que leurs équipiers, ils montent occasionnellement participer au jeu offensif pour délivrer des boulets de canon des trente mètres.
L’équipe de Russie ne ressemble pas aux équipes modernes qui pressent, se jettent vers l’avant et marquent en moyenne deux passes après la récupération du ballon. Sa philosophie de jeu est basée sur une défense basse, et une primauté à la précision dans la circulation du ballon et la transmission de celui-ci – au détriment de la vitesse d’exécution d’ensemble. La technique individuelle est au service du collectif sublimé par cette sorte d’instinct à jouer ensemble que les équipes soviétiques ont porté au pinacle en leur temps – 1960, 1986 – et dans d’autres disciplines – le basket, le hockey.
La formation du professeur néerlandais se compose de deux défenseurs costauds et calmes. Devant eux, un libéro du milieu (véritable meneur de jeu à la Pirlo ou à la Redondo) est placé au même niveau que les latéraux, sentinelles insatiables. Un cran au-dessus se situent les deux relayeurs, pièces maîtresses du dispositif par leur double-rôle de couverture axiale défensive et de courroie de transmission entre l’avant et l’arrière, la gauche et la droite. Deux ailiers percutants et permutants entourent une pointe pour boucler le système. C’est un 2-5-3.
C’est une bande de cosmonautes pour qui le football est un passe-temps qui concurrence sérieusement les parties d’échec pour s’entraîner entre deux conquêtes spatiales.